Au début du Symposium de Platon, un court échange entre Agathon et Socrate (175 av J-C) pose le cadre dialogique de la succession de discours visant à explorer le pouvoir et la nature de l'érotisme, et la façon dont il est lié aux questions d'éthique, d'épistémologie et d'ontologie. J'ai toujours trouvé que ce court échange était la manière la plus significative de représenter les bases dialogiques de toute intervention éducative. La scène est la suivante : Socrate arrive en retard chez Agathon car il était perdu dans ses pensées dans l'atrium. Lorsqu'il entre, Agathon invite Socrate à s'asseoir à côté de lui pour que "je puisse te toucher", dit-il. Il espère ainsi devenir sage, car ce qui était dans l'esprit de Socrate lorsqu'il était dans le portique peut certainement être transmis à Agathon.
Socrate répond :
Comme je voudrais, en prenant sa place comme il était désiré, que la sagesse puisse être infusée par le toucher, de l'homme plein à l'homme vide, comme l'eau coule à travers la laine d'une tasse pleine à une tasse vide. (Platon, 1999)
Ce qui est en jeu ici, c'est l'idée de transmission par opposition à l'idée de construction dialogique de la connaissance et de l'éducation. Nous sommes dans une phase historique où l'éducation a été réduite en faveur de l'apprentissage reproductif et des pratiques pédagogiques standardisées.
L'enseignement et l'apprentissage ont en effet été normalisés par des prescriptions très détaillées sur la manière dont les enseignants sont censés enseigner et sur ce que les étudiants sont censés apprendre, ce qui est ensuite présenté au public comme un enseignement et un apprentissage axés sur les objectifs.
L'invitation d'Agathon à Socrate de s'asseoir à côté de lui dans l'espoir d'être rempli par sa sagesse (sur la base de la simple exposition ou proximité) est une caractéristique de la plupart des débats éducatifs contemporains. L'éducation, au contraire, est difficile et douloureuse et prend du
du temps. Elle implique, avant tout, la déconstruction et la reconstruction des systèmes de connaissance antérieurs. Comment cela est-il possible sans dialogue ? C'est impossible. Et cela nécessite un type spécifique d'interaction dialogique entre des personnes jouant des rôles différents (c'est-à-dire les enseignants et les élèves), dans des conditions spécifiques, au sein d'un système particulier de règles et d'attentes, mais un dialogue quand même !
Le dialogue a des pouvoirs transformateurs et soutient les changements développementaux à la fois dans la façon dont nous arrivons à connaître le monde qui nous entoure et à lui donner du sens et dans la définition de notre Soi (Hermans et al., 2017 ; Marsico, 2015).
Selon les auteurs :
Le concept composite 'dialogical self' transcende cette dichotomie en amenant l'extérieur vers l'intérieur et, à l'inverse, en transportant l'intérieur vers l'extérieur. Cela permet aux gens d'étudier le soi comme une société de "positions du moi" et, d'autre part, de considérer la société comme peuplée, stimulée et renouvelée par les soi de ses participants individuels. De cette façon, la théorie abandonne tout dualisme entre soi et la société et toute conception qui considère le soi comme essentialisé et encapsulé en soi. (Meijers & Hermans, ce volume, p. 7)
L'éducation est donc l'un des domaines humains les plus significatifs où ce processus d'internalisation/externalisation se produit. La plupart des psychologues de l'éducation évitent l'internalisation et parlent d'appropriation. Mais ce n'est que par l'internalisation que l'on crée des créateurs actifs de nouvelles connaissances. Les sociétés ont besoin de jeunes gens qui sont créativement en avance sur les normes des connaissances existantes afin qu'ils puissent créer de nouvelles compréhensions (Marsico & Valsiner, 2017).
Après tout, l'éducation est le moyen de se libérer de l'oppression de formes de pensée rigides et de définitions étroites du soi et de l'autre (Szulevicz et al., 2016).
Les pratiques d'apprentissage devraient améliorer la capacité à développer des formes abstraites et générales de connaissances ainsi qu'une organisation plus intégrée du Soi. Pourtant, les tensions, les oppositions et les contradictions sont la règle et non l'exception au sein du Soi.
L'éducation est une tension entre la personne et la personne imaginée, remplie de l'ambivalence inhérente à l'idéologie éducative. Dans chaque contexte éducatif, plusieurs types de tensions sont en jeu : une polyphonie entre les imaginaires des adultes (par exemple, l'enseignant, les parents) et les imaginaires de l'apprenant (Tateo, 2015).
Pourtant, la tension est une condition dialogique - en d'autres termes, toute condition dialogique est caractérisée par une tension structurelle qui permet à la fois une stabilité dynamique et un développement dynamique (Marsico & Tateo, 2017). La tension n'est donc pas quelque chose à surmonter (tant qu'elle reste dans des paramètres acceptables), mais elle est un élément constitutif de la vie psychologique elle-même et la base de tout processus éducatif permettant à la fois le développement et l'intégrité du système de soi.
L'ouvrage de Meijers et Hermans intitulé "The Dialogical Self Theory in Education : a multicultural perspective" comme processus éducatif dialogique traite des ambivalences et des complexités de notre existence contemporaine et future en tant qu'êtres humains.